L’électricité ne se stocke pas. Il faut équilibrer offre et demande en flux continu.
On l’a souvent répété, tant cette antienne est la grande contrainte indépassable de la production électrique. Avec l’intégration de nouvelles technologies pour nos centrales, il s’agit même de l’un des défis majeurs, car ces usines de production électrique peuvent avoir le défaut d’être moins rapidement mobilisables pour du peakload (nucléaire) ou non pilotables en fonction des besoins (éolien et solaire).
Il y a pourtant bien un système de stockage déjà déployé depuis la fin du XIXe siècle : le pompage hydraulique (ou STEP). Mais celui-ci est limité par le nombre de barrages disponibles, par la nécessité d’un bassin de rétention et par un nouvel équilibre à respecter entre enjeux environnementaux – l’eau étant aussi nécessaire à la faune et à la flore – et besoins électriques.
Bref. C’était dit, c’était figé : l’électricité ne se stocke pas, rendant l’intermittence des énergies renouvelables comme défaut indépassable pour l’avenir de notre système.
Pourtant, à Nantes mi-décembre, un parc de batteries de stockage d’électricité (BESS) était inauguré avec la promesse de faire mentir l’adage. Désormais, avec une puissance de 100 MW et une capacité de 200 MWh, l’électricité se stocke. Au point de changer l’avenir du système électrique ?
Pourquoi la question du stockage d’électricité s’impose-t-elle aujourd’hui ?
Pour Andy Symonds, CEO d’Harmony Energy France, l’entreprise qui a développé ce parc de batteries qui est à ce jour le plus grand de France, le système énergétique est prêt à changer d’époque. « Nous avons quitté le dig & burn du XIXe et du XXe siècles, qui consistait à récupérer toujours plus de matières pour les brûler, affirmait-il à l’occasion de l’inauguration de la BESS de Cheviré. Nous ouvrons aujourd’hui le chapitre du capture & control. »
Autrement dit : les énergies renouvelables sont au cœur de la transition énergétique et de notre trajectoire pour sortir des énergies fossiles. Les éoliennes et les panneaux photovoltaïques sont de plus en plus efficaces sur la partie « capture », à un prix de plus en plus compétitif.
L’enjeu, désormais, est d’y ajouter son pendant : le control. C’est là que les BESS interviennent pour nous faire basculer dans un monde de l’électricité entièrement pilotable. Les batteries accompagnent les renouvelables.
Impact de l’intermittence des énergies renouvelables
À l’heure actuelle, la contribution des énergies renouvelables au système électrique est principalement subie. Elle dépend de la météo. Les éoliennes tournent lorsque le vent est présent. Les modules photovoltaïques produisent de l’électricité lorsque le soleil brille.
Cette production est majoritairement prévisible. Des modèles de calcul permettent d’anticiper cette production et la force du foisonnement. La complémentarité entre photovoltaïque et éolien permet de réellement diminuer les besoins en centrales à charbon ou à gaz.
Cependant, rien ne permet d’allumer une centrale renouvelable lorsqu’on en a besoin, soudainement, en cas de pic de consommation par exemple. En plein hiver, cela fragilise le réseau. En été, la crainte est de gaspiller cette énergie en stoppant des centrales par manque de débouchées.
Limites du réseau électrique actuel et nouveaux besoins
Si les énergies renouvelables ont de plus en plus un prix attractif, elles ne permettent pas d’avoir une électricité de réserve capable de répondre à un pic de consommation. Elles ne sont pas pilotables, au sens où elles ne peuvent produire davantage. Cela contraint à garder des centrales fossiles (gaz ou charbon) qui fonctionnent sur des temps très courts, à financer des entreprises pour s’assurer d’une capacité d’effacement ou encore à demander aux centrales nucléaires de garder une réserve de capacité et de ne pas produire à pleine puissance en cas de pic de consommation. Cela coûte cher au système, donc aux consommateurs.
Sur les marchés de l’électricité, cela se traduit par plusieurs difficultés. Le marché spot est marqué par une grande volatilité, avec un différentiel de prix au sein d’une même journée qui peut atteindre plus de 100 €/MWh. Cette alternance de prix bas et de prix hauts traduit de fait un manque de corrélation entre la production d’électricité et la consommation.
Qu’attend-on concrètement du stockage d’électricité par batteries ?
Le système actuel a des failles, des écueils, principalement sur les temps de « peakload ». Les parcs de batteries peuvent-ils être une solution miracle qui réduira les coûts du système et donc de l’électricité pour les consommateurs, tout en rassurant quant à l’approvisionnement, afin d’accélérer enfin l’électrification des usages ?
Couvrir les pics de consommation
Le stockage peut apporter de la flexibilité. Il viendra capter un surplus d’électricité au bon moment. Cela évite d’user et abuser de la modulation des moyens de production, tant nucléaire qu’éolien et solaire.
Concrètement, un parc de batteries pourra capter un surplus et le réinjecter dans le réseau dès que la consommation dépassera la production. Dans le cas de la BESS de Cheviré, sa capacité lui permet de couvrir la consommation d’une ville similaire à Nantes pendant environ deux heures. Le stockage d’électricité est ainsi une réponse aux contraintes du peakload, lorsqu’il faut produire davantage en peu de temps.
Apporter plus de stabilité sur les marchés
Le stockage peut aussi participer à fluidifier les échanges sur les marchés et réduire la variabilité du spot. Les batteries fournies par Tesla pour la BESS de Cheviré intègrent d’ailleurs un système interne de trading, pour arbitrer directement sur les marchés entre stockage et injection d’électricité.
En équilibrant offre et demande, les batteries évitent un plongeon du marché spot en cas de surabondance d’électricité. On évite également les prix négatifs ou de contraindre les producteurs renouvelables à stopper leur production, comme c’est le cas pour l’éolien depuis mai 2025. L’impact du stockage d’électricité par batteries est positif pour les producteurs. Cela leur apporte une sécurité supplémentaire.
Contribuer à un réseau plus efficace et moins coûteux
Les batteries rendent aussi des services moins visibles côté consommateurs, mais tout aussi essentiels. Ainsi, ces batteries ont la possibilité de fournir une inertie virtuelle qui limite les risques de surtension ou de sous-tension du réseau.
Cette difficulté a été mise en exergue par l’épisode du blackout en Espagne, en avril 2025. Mais même dans un système davantage décentralisé et sans compensateurs physiques, comme dans les centrales thermiques traditionnels, il devient possible grâce aux batteries de moduler la tension ou la fréquence du réseau. Les batteries pourraient même avoir un rôle plus efficace pour ajuster la fréquence en temps réel, avec une grande rapidité d’exécution.
Enfin, des mises à jour logiciel des batteries déjà installées permettrait de leur ajouter une telle fonctionnalité, petit à petit, les rendant toujours plus essentielles pour l’équilibrage et la sécurité du réseau.
Fournir de l’énergie au moment opportun !
Plus jamais de pannes ? En tout cas, les batteries diminuent le risque, y compris à une échelle plus fine, au sein des entreprises. Si les parcs de batterie à grande échelle seront davantage tournées vers des services pour le réseau, entre gestion de la tension et garanties de capacité, c’est aussi sur une maille plus fine un moyen de se préserver de coupures d’électricité trop longues.
Quand on mesure le risque pour une entreprise si ses machines s’arrêtent, si la chaîne du froid ne peut plus être entretenue, si les lignes de production n’avancent plus, avoir un système de batteries « à domicile » adossé à son système d’autoconsommation électrique est une assurance et une garantie quant à son approvisionnement en électricité.
D’autres projets permettent déjà de réduire également les besoins en groupes électrogènes carbonés sur des sites sensibles, lors de chantiers ou pour des grands événements comme les Jeux olympiques en 2024 grâce à des lignes de secours. Les batteries, à terme, pourraient aussi remplir ce rôle.
Et aligner bénéfices environnementaux et financiers
Les batteries sont surtout envisagées dans l’immédiat pour donner plus de temps à la production des centrales renouvelables. Elles augmentent la diffusion de l’électricité qu’elles peuvent produire, avec un coût environnemental limité.
Dans sa dernière étude sur des cas d’usage de stockage d’électricité, l’Ademe estime ainsi que l’ajout d’une batterie dans un système d’autoconsommation permet de prolonger clairement la part d’électricité bas carbone consommée en cycle court, avec un arbitrage financier qui peut être intéressant pour le consommateur, mais qu’il s’agit néanmoins d’un transfert d’impact environnemental avec un épuisement des ressources minérales (pour la fabrication de ces batteries).
Quelles sont les principales technologies de stockage d’électricité et leurs enjeux ?
La batterie stationnaire : l’enjeu des terres rares
Les BESS se développent et correspondent à un moyen de stocker de l’électricité pour du court terme. Plusieurs technologies coexistent avec différents mélanges de terres rares, le plus courant à ce jour étant la batterie lithium-ion qui présente des avantages sur sa capacité et son coût, avec une forte densité. Ce sont ces batteries qui équipent les voitures électriques, notamment, ainsi que des parcs de batterie à plus grand échelle.
Mais d’autres mélanges chimiques sont étudiés pour stocker l’électricité, en particulier pour se détacher des terres rares. Les batteries peuvent ainsi contenir un mélange sodium-ion, du nickel, du cobalt, etc.
La batterie « physique » : le système gravitaire
En parallèle, des systèmes alternatifs sont testés et étudiés comme le stockage gravitaire, qui consiste à utiliser un surplus d’énergie pour faire monter une masse, qui descendra et produira ainsi de l’énergie lorsqu’on le système en aura besoin. Ces installations nécessitent un grand espace et se présentent sous forme d’immeubles vides, avec plusieurs modules qui montent et descendent. La Chine a inauguré une première batterie de ce type à l’été 2023, avec une capacité de 100 MWh. Six batteries supplémentaires pourraient être construites ensuite.
Le principal avantage de ce système, équivalent à celui des STEP pour l’hydraulique, est qu’il est assez efficace énergétiquement (environ 80 %) et moins gourmand en ressources rares. En effet, il peut s’appuyer sur des ressources déjà disponibles ou recyclées pour être construite.
L’hydrogène, indispensable pour stocker sur le temps long ?
Enfin, l’hydrogène est étudié pour sa capacité à pouvoir stocker de l’énergie sur un temps beaucoup plus long, grâce au « power to gas » (P2G). Autrement dit, l’électricité est transformée en hydrogène pour pouvoir fournir de l’énergie bien plus tard. Cela contribue à un défi beaucoup plus complexe à relever : le stockage d’une saison à une autre. En effet, en France, nous consommons plus d’énergie en hiver – pics historiques de consommation électriques, consommation de gaz, etc. – alors que nous produisons de plus en plus l’été grâce au photovoltaïque.
Le P2G pour la production d’hydrogène vert est être un moyen de contourner cette difficulté, mais son rendement énergétique est encore complexe à rendre attractif : « On peut alimenter cinq fois plus de bus, de voitures et de chauffages en utilisant directement l’électricité verte qu’en la convertissant d’abord en hydrogène. » Pour l’industrie lourde, cependant, cette piste reste pertinente.
Les avantages des BESS à grande échelle : une solution multitâches pour le réseau

Crédits photos : Harmony Energy
« Le parc de stockage de Cheviré est une réalisation emblématique pour la transition énergétique en France. » Lors de la mise en tension de sa BESS, Harmony Energy a tenu à souligner le rôle que jouera son installation dans la résilience du système électrique français, tout en facilitant l’intégration de nouvelles énergies renouvelables. Il est voué principalement grâce à son grande puissance à « substituer l’énergie fournie par les centrales fossiles lors des pics de consommation par des sources d’énergie renouvelables ».
Son emplacement est d’ailleurs emblématique de cette volonté d’afficher la transition énergétique au cœur du projet. Le site choisi, en amont du port de Nantes Saint-Nazaire et au niveau du pont de Cheviré, correspond à l’ancien emplacement d’une centrale à charbon, à gaz et au fioul jusqu’en 1986. Si cela a pu causer quelques surprises lors de l’installation du parc de batteries, avec des fondations de la centrale qui demeurent, les travaux ont été accomplis en moins d’une année.
Mis en service pendant l’été 2025, il peut désormais alimenter le réseau pendant deux heures, à une puissance de 100 MW. Cet ajout de 52 « megapacks » de Tesla correspond à près de 20 % de la capacité actuelle de stockage d’électricité en France, estimée à un peu plus d’un GWh fin 2025. Selon Clément Girard, directeur des opérations pour Harmony Energy, cela représente « près de 364 000 tonnes équivalent CO2 sur 20 ans, soit l’équivalent de l’empreinte carbone de 41 000 personnes chaque année ».
Conclusion : le stockage d’électricité par batteries sera une partie de la solution pour un système bas carbone en 2050
L’exemple de Cheviré montre une rapidité dans le développement des parcs de batteries. En trois ans seulement, grâce aussi à une implantation favorable sur un terrain artificialisé et situé face à un poste RTE, le projet de cette BESS de 200 MWh a pu être mené à bout. Malgré un coût d’investissement notable, d’environ 60 millions d’euros, Harmony Energy a pu mener son projet sans subvention publique, ni garantie d’achat par l’État.
Toutefois, Cheviré ne sera pas longtemps le plus grand parc de batteries de France. Un concurrent prévoit désormais l’installation d’un BESS de 480 MWh à côté de Reims. Une dizaine de GW en batteries sont même dans les cartons, dans la file d’attente pour s’ajouter au réseau actuel, ajoutant encore plus de flexibilité dans notre système électrique.
Leur capacité pourrait par ailleurs s’étendre sur des durées plus longues, comme le soulignait David Arnaud de Tesla lors de l’inauguration de Cheviré. « On pourrait avoir bientôt des projets de 4 heures, voire de 8 heures de stockage », afin de couvrir bien plus qu’une pointe de consommation de fin de journée.
Rien que sur la métropole de Nantes, selon l’adjoint à la ville de Nantes Tristan Riom, 7 projets – à taille plus modeste que Cheviré – sont actuellement en cours d’étude.
Des batteries pour densifier l’électrification des usages ?
Dominique Jamme, de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), rappelait ainsi lors de l’inauguration que « la France est bien placée pour électrification, avec les meilleurs prix d’Europe actuellement ». Les batteries, par leur intégration progressive, pourraient offrir une « visibilité en plus » cruciale pour les entreprises et la réindustrialisation du pays, ainsi que pour les usages. Elles incitent directement et indirectement au développement de l’autoconsommation, aux achats de long terme et à une véritable stratégie d’achat plus diversifiée.
Cependant, les BESS ne resteront qu’une partie de la réponse, avec un stockage destiné au temps court. Le prochain défi sera de conserver de l’électricité entre l’été et l’hiver, pour profiter d’un photovoltaïque abondant à l’heure où l’on en aura le plus besoin et s’assurer d’un avenir décarboné. Avec une électricité devenue stockable, stockée, puis réinjectée.

Article rédigé par Côme Tessier
Rédacteur web pour Collectif Énergie, je m’évertue à glisser des touches sportives ou des notes sucrées pour rendre plus accessibles les sujets liés à l’énergie. Sans jamais oublier de traquer les doubles espaces qui perturbent la lecture.
L’électricité ne se stocke pas. Il faut équilibrer offre et demande en flux continu.
On l’a souvent répété, tant cette antienne est la grande contrainte indépassable de la production électrique. Avec l’intégration de nouvelles technologies pour nos centrales, il s’agit même de l’un des défis majeurs, car ces usines de production électrique peuvent avoir le défaut d’être moins rapidement mobilisables pour du peakload (nucléaire) ou non pilotables en fonction des besoins (éolien et solaire).
Il y a pourtant bien un système de stockage déjà déployé depuis la fin du XIXe siècle : le pompage hydraulique (ou STEP). Mais celui-ci est limité par le nombre de barrages disponibles, par la nécessité d’un bassin de rétention et par un nouvel équilibre à respecter entre enjeux environnementaux – l’eau étant aussi nécessaire à la faune et à la flore – et besoins électriques.
Bref. C’était dit, c’était figé : l’électricité ne se stocke pas, rendant l’intermittence des énergies renouvelables comme défaut indépassable pour l’avenir de notre système.
Pourtant, à Nantes mi-décembre, un parc de batteries de stockage d’électricité (BESS) était inauguré avec la promesse de faire mentir l’adage. Désormais, avec une puissance de 100 MW et une capacité de 200 MWh, l’électricité se stocke. Au point de changer l’avenir du système électrique ?
Pourquoi la question du stockage d’électricité s’impose-t-elle aujourd’hui ?
Pour Andy Symonds, CEO d’Harmony Energy France, l’entreprise qui a développé ce parc de batteries qui est à ce jour le plus grand de France, le système énergétique est prêt à changer d’époque. « Nous avons quitté le dig & burn du XIXe et du XXe siècles, qui consistait à récupérer toujours plus de matières pour les brûler, affirmait-il à l’occasion de l’inauguration de la BESS de Cheviré. Nous ouvrons aujourd’hui le chapitre du capture & control. »
Autrement dit : les énergies renouvelables sont au cœur de la transition énergétique et de notre trajectoire pour sortir des énergies fossiles. Les éoliennes et les panneaux photovoltaïques sont de plus en plus efficaces sur la partie « capture », à un prix de plus en plus compétitif.
L’enjeu, désormais, est d’y ajouter son pendant : le control. C’est là que les BESS interviennent pour nous faire basculer dans un monde de l’électricité entièrement pilotable. Les batteries accompagnent les renouvelables.
Impact de l’intermittence des énergies renouvelables
À l’heure actuelle, la contribution des énergies renouvelables au système électrique est principalement subie. Elle dépend de la météo. Les éoliennes tournent lorsque le vent est présent. Les modules photovoltaïques produisent de l’électricité lorsque le soleil brille.
Cette production est majoritairement prévisible. Des modèles de calcul permettent d’anticiper cette production et la force du foisonnement. La complémentarité entre photovoltaïque et éolien permet de réellement diminuer les besoins en centrales à charbon ou à gaz.
Cependant, rien ne permet d’allumer une centrale renouvelable lorsqu’on en a besoin, soudainement, en cas de pic de consommation par exemple. En plein hiver, cela fragilise le réseau. En été, la crainte est de gaspiller cette énergie en stoppant des centrales par manque de débouchées.
Limites du réseau électrique actuel et nouveaux besoins
Si les énergies renouvelables ont de plus en plus un prix attractif, elles ne permettent pas d’avoir une électricité de réserve capable de répondre à un pic de consommation. Elles ne sont pas pilotables, au sens où elles ne peuvent produire davantage. Cela contraint à garder des centrales fossiles (gaz ou charbon) qui fonctionnent sur des temps très courts, à financer des entreprises pour s’assurer d’une capacité d’effacement ou encore à demander aux centrales nucléaires de garder une réserve de capacité et de ne pas produire à pleine puissance en cas de pic de consommation. Cela coûte cher au système, donc aux consommateurs.
Sur les marchés de l’électricité, cela se traduit par plusieurs difficultés. Le marché spot est marqué par une grande volatilité, avec un différentiel de prix au sein d’une même journée qui peut atteindre plus de 100 €/MWh. Cette alternance de prix bas et de prix hauts traduit de fait un manque de corrélation entre la production d’électricité et la consommation.
Qu’attend-on concrètement du stockage d’électricité par batteries ?
Le système actuel a des failles, des écueils, principalement sur les temps de « peakload ». Les parcs de batteries peuvent-ils être une solution miracle qui réduira les coûts du système et donc de l’électricité pour les consommateurs, tout en rassurant quant à l’approvisionnement, afin d’accélérer enfin l’électrification des usages ?
Couvrir les pics de consommation
Le stockage peut apporter de la flexibilité. Il viendra capter un surplus d’électricité au bon moment. Cela évite d’user et abuser de la modulation des moyens de production, tant nucléaire qu’éolien et solaire.
Concrètement, un parc de batteries pourra capter un surplus et le réinjecter dans le réseau dès que la consommation dépassera la production. Dans le cas de la BESS de Cheviré, sa capacité lui permet de couvrir la consommation d’une ville similaire à Nantes pendant environ deux heures. Le stockage d’électricité est ainsi une réponse aux contraintes du peakload, lorsqu’il faut produire davantage en peu de temps.
Apporter plus de stabilité sur les marchés
Le stockage peut aussi participer à fluidifier les échanges sur les marchés et réduire la variabilité du spot. Les batteries fournies par Tesla pour la BESS de Cheviré intègrent d’ailleurs un système interne de trading, pour arbitrer directement sur les marchés entre stockage et injection d’électricité.
En équilibrant offre et demande, les batteries évitent un plongeon du marché spot en cas de surabondance d’électricité. On évite également les prix négatifs ou de contraindre les producteurs renouvelables à stopper leur production, comme c’est le cas pour l’éolien depuis mai 2025. L’impact du stockage d’électricité par batteries est positif pour les producteurs. Cela leur apporte une sécurité supplémentaire.
Contribuer à un réseau plus efficace et moins coûteux
Les batteries rendent aussi des services moins visibles côté consommateurs, mais tout aussi essentiels. Ainsi, ces batteries ont la possibilité de fournir une inertie virtuelle qui limite les risques de surtension ou de sous-tension du réseau.
Cette difficulté a été mise en exergue par l’épisode du blackout en Espagne, en avril 2025. Mais même dans un système davantage décentralisé et sans compensateurs physiques, comme dans les centrales thermiques traditionnels, il devient possible grâce aux batteries de moduler la tension ou la fréquence du réseau. Les batteries pourraient même avoir un rôle plus efficace pour ajuster la fréquence en temps réel, avec une grande rapidité d’exécution.
Enfin, des mises à jour logiciel des batteries déjà installées permettrait de leur ajouter une telle fonctionnalité, petit à petit, les rendant toujours plus essentielles pour l’équilibrage et la sécurité du réseau.
Fournir de l’énergie au moment opportun !
Plus jamais de pannes ? En tout cas, les batteries diminuent le risque, y compris à une échelle plus fine, au sein des entreprises. Si les parcs de batterie à grande échelle seront davantage tournées vers des services pour le réseau, entre gestion de la tension et garanties de capacité, c’est aussi sur une maille plus fine un moyen de se préserver de coupures d’électricité trop longues.
Quand on mesure le risque pour une entreprise si ses machines s’arrêtent, si la chaîne du froid ne peut plus être entretenue, si les lignes de production n’avancent plus, avoir un système de batteries « à domicile » adossé à son système d’autoconsommation électrique est une assurance et une garantie quant à son approvisionnement en électricité.
D’autres projets permettent déjà de réduire également les besoins en groupes électrogènes carbonés sur des sites sensibles, lors de chantiers ou pour des grands événements comme les Jeux olympiques en 2024 grâce à des lignes de secours. Les batteries, à terme, pourraient aussi remplir ce rôle.
Et aligner bénéfices environnementaux et financiers
Les batteries sont surtout envisagées dans l’immédiat pour donner plus de temps à la production des centrales renouvelables. Elles augmentent la diffusion de l’électricité qu’elles peuvent produire, avec un coût environnemental limité.
Dans sa dernière étude sur des cas d’usage de stockage d’électricité, l’Ademe estime ainsi que l’ajout d’une batterie dans un système d’autoconsommation permet de prolonger clairement la part d’électricité bas carbone consommée en cycle court, avec un arbitrage financier qui peut être intéressant pour le consommateur, mais qu’il s’agit néanmoins d’un transfert d’impact environnemental avec un épuisement des ressources minérales (pour la fabrication de ces batteries).
Quelles sont les principales technologies de stockage d’électricité et leurs enjeux ?
La batterie stationnaire : l’enjeu des terres rares
Les BESS se développent et correspondent à un moyen de stocker de l’électricité pour du court terme. Plusieurs technologies coexistent avec différents mélanges de terres rares, le plus courant à ce jour étant la batterie lithium-ion qui présente des avantages sur sa capacité et son coût, avec une forte densité. Ce sont ces batteries qui équipent les voitures électriques, notamment, ainsi que des parcs de batterie à plus grand échelle.
Mais d’autres mélanges chimiques sont étudiés pour stocker l’électricité, en particulier pour se détacher des terres rares. Les batteries peuvent ainsi contenir un mélange sodium-ion, du nickel, du cobalt, etc.
La batterie « physique » : le système gravitaire
En parallèle, des systèmes alternatifs sont testés et étudiés comme le stockage gravitaire, qui consiste à utiliser un surplus d’énergie pour faire monter une masse, qui descendra et produira ainsi de l’énergie lorsqu’on le système en aura besoin. Ces installations nécessitent un grand espace et se présentent sous forme d’immeubles vides, avec plusieurs modules qui montent et descendent. La Chine a inauguré une première batterie de ce type à l’été 2023, avec une capacité de 100 MWh. Six batteries supplémentaires pourraient être construites ensuite.
Le principal avantage de ce système, équivalent à celui des STEP pour l’hydraulique, est qu’il est assez efficace énergétiquement (environ 80 %) et moins gourmand en ressources rares. En effet, il peut s’appuyer sur des ressources déjà disponibles ou recyclées pour être construite.
L’hydrogène, indispensable pour stocker sur le temps long ?
Enfin, l’hydrogène est étudié pour sa capacité à pouvoir stocker de l’énergie sur un temps beaucoup plus long, grâce au « power to gas » (P2G). Autrement dit, l’électricité est transformée en hydrogène pour pouvoir fournir de l’énergie bien plus tard. Cela contribue à un défi beaucoup plus complexe à relever : le stockage d’une saison à une autre. En effet, en France, nous consommons plus d’énergie en hiver – pics historiques de consommation électriques, consommation de gaz, etc. – alors que nous produisons de plus en plus l’été grâce au photovoltaïque.
Le P2G pour la production d’hydrogène vert est être un moyen de contourner cette difficulté, mais son rendement énergétique est encore complexe à rendre attractif : « On peut alimenter cinq fois plus de bus, de voitures et de chauffages en utilisant directement l’électricité verte qu’en la convertissant d’abord en hydrogène. » Pour l’industrie lourde, cependant, cette piste reste pertinente.
Les avantages des BESS à grande échelle : une solution multitâches pour le réseau

Crédits photos : Harmony Energy
« Le parc de stockage de Cheviré est une réalisation emblématique pour la transition énergétique en France. » Lors de la mise en tension de sa BESS, Harmony Energy a tenu à souligner le rôle que jouera son installation dans la résilience du système électrique français, tout en facilitant l’intégration de nouvelles énergies renouvelables. Il est voué principalement grâce à son grande puissance à « substituer l’énergie fournie par les centrales fossiles lors des pics de consommation par des sources d’énergie renouvelables ».
Son emplacement est d’ailleurs emblématique de cette volonté d’afficher la transition énergétique au cœur du projet. Le site choisi, en amont du port de Nantes Saint-Nazaire et au niveau du pont de Cheviré, correspond à l’ancien emplacement d’une centrale à charbon, à gaz et au fioul jusqu’en 1986. Si cela a pu causer quelques surprises lors de l’installation du parc de batteries, avec des fondations de la centrale qui demeurent, les travaux ont été accomplis en moins d’une année.
Mis en service pendant l’été 2025, il peut désormais alimenter le réseau pendant deux heures, à une puissance de 100 MW. Cet ajout de 52 « megapacks » de Tesla correspond à près de 20 % de la capacité actuelle de stockage d’électricité en France, estimée à un peu plus d’un GWh fin 2025. Selon Clément Girard, directeur des opérations pour Harmony Energy, cela représente « près de 364 000 tonnes équivalent CO2 sur 20 ans, soit l’équivalent de l’empreinte carbone de 41 000 personnes chaque année ».
Conclusion : le stockage d’électricité par batteries sera une partie de la solution pour un système bas carbone en 2050
L’exemple de Cheviré montre une rapidité dans le développement des parcs de batteries. En trois ans seulement, grâce aussi à une implantation favorable sur un terrain artificialisé et situé face à un poste RTE, le projet de cette BESS de 200 MWh a pu être mené à bout. Malgré un coût d’investissement notable, d’environ 60 millions d’euros, Harmony Energy a pu mener son projet sans subvention publique, ni garantie d’achat par l’État.
Toutefois, Cheviré ne sera pas longtemps le plus grand parc de batteries de France. Un concurrent prévoit désormais l’installation d’un BESS de 480 MWh à côté de Reims. Une dizaine de GW en batteries sont même dans les cartons, dans la file d’attente pour s’ajouter au réseau actuel, ajoutant encore plus de flexibilité dans notre système électrique.
Leur capacité pourrait par ailleurs s’étendre sur des durées plus longues, comme le soulignait David Arnaud de Tesla lors de l’inauguration de Cheviré. « On pourrait avoir bientôt des projets de 4 heures, voire de 8 heures de stockage », afin de couvrir bien plus qu’une pointe de consommation de fin de journée.
Rien que sur la métropole de Nantes, selon l’adjoint à la ville de Nantes Tristan Riom, 7 projets – à taille plus modeste que Cheviré – sont actuellement en cours d’étude.
Des batteries pour densifier l’électrification des usages ?
Dominique Jamme, de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), rappelait ainsi lors de l’inauguration que « la France est bien placée pour électrification, avec les meilleurs prix d’Europe actuellement ». Les batteries, par leur intégration progressive, pourraient offrir une « visibilité en plus » cruciale pour les entreprises et la réindustrialisation du pays, ainsi que pour les usages. Elles incitent directement et indirectement au développement de l’autoconsommation, aux achats de long terme et à une véritable stratégie d’achat plus diversifiée.
Cependant, les BESS ne resteront qu’une partie de la réponse, avec un stockage destiné au temps court. Le prochain défi sera de conserver de l’électricité entre l’été et l’hiver, pour profiter d’un photovoltaïque abondant à l’heure où l’on en aura le plus besoin et s’assurer d’un avenir décarboné. Avec une électricité devenue stockable, stockée, puis réinjectée.

Article rédigé par Côme Tessier
Rédacteur web pour Collectif Énergie, je m’évertue à glisser des touches sportives ou des notes sucrées pour rendre plus accessibles les sujets liés à l’énergie. Sans jamais oublier de traquer les doubles espaces qui perturbent la lecture.



